Londres, Mars 2012
Quartier principal des Templiers

Quand on évolue dans la même faction, on s'attend souvent à tomber sur des personnes qui pensent comme vous, qui sont comme vous, qui ont la même vision que vous. De la vie, des choses, du monde qui nous entoure, de l'histoire de nous traversons. L'Histoire, telle qu'on nous la raconte, je la connais bien. Et je suis parfois triste de constater combien elle est manipulée à divers niveaux. Dans ma famille, on est Templier de père en fils, de mère en fille. Je n'ai pas échappé à la règle et pourtant, voilà qui me convient à la perfection. Cependant... Cela ne signifie pas que tout ce que l'on pense est avéré. Cela veut juste dire que nous avons encore beaucoup à apprendre. Mais de qui ? Et pour quoi ?

Perdue dans ses pensées, Jansen faisait tourner son verre de bière fraîche entre ses doigts. Sans trop savoir si elle déprimait ou bien si elle était pensive, elle ne fit pas attention à ce qui se passait autour d'elle. Installée dans dans un coin discret du Crusade, non loin du QG de la faction, elle pensait, réfléchissait. Son passé, son avenir, seule ou en famille. Un oeil relevé vers la télé géante diffusant les informations, Jansen soupira. Elle aimait ces périodes de calme mais avait vite envie de retourner sur le terrain. Ici, il y avait trop de choses à penser, sur le terrain, seul soi comptait.

Pourtant, alors qu'elle regardait d'un oeil distrait l'écran géant, quelque chose attira son attention. Les écrans bégayaient fréquemment, mais à ce point ? On aurait dit comme une interférence qui approchait, d'abord de lui, puis de plus en plus près. Certaines personnes ne semblèrent pas la remarquer et pourtant, d'autres si, tout aussi curieux qu'elle. Quand une voix résonna, Jansen écarquilla les yeux, ses lèvres s'entrouvrant. Cette voix, à peine murmurée vous flanquait une frousse d'enfer, froid dans le dos. Subjuguée par l'interférence statique, elle fut toute aussi choquée de son interruption brutale. Tout redevint normal en une fraction de seconde et il lui fallut un léger temps pour comprendre ce que elle avait entendu.

Attrapant vite son carnet dans son sac, elle clips le capuchon de son stylo et se mit à écrire rapidement d'un style appuyé.

"Seul l'Ancien Élu pourra rétablir l'Équilibre entre nos mondes."

Erin Christensen traversait les lieux, la tête haute et une démarche très assurée. Comme si le chemin emprunté était assurément le bon. Ses talons résonnaient au rythme du tic-tac de sa montre. L'assurance. Peut-être fictive, peut-être réelle, difficile à dire, mais dans le monde actuel et à ce moment précis, c'était une arme indispensable face aux bouleversements récents. Notre monde avait changé si soudainement, et d'une manière tellement radicale, qu'il aurait été plaisant d'aller se lover sous une couette moelleuse pour les prochains siècles à venir.
Ceci n'était pas le projet des Templiers.

Erin arriva au Crusades, un nom bien choisi pour un havre de paix utopiste. Elle commanda un café, bien noir et bien serré, en détaillant les lieux, et surtout les visages - sans gêne aucune. Si la jeune femme ne cherchait personne en particulier, elle fut secrètement ravie de trouver dans la masse une tête familière. Elle attrapa sa boisson chaude sans quitter la jeune femme tapie au fond de la pièce du regard, plissant un œil pour se remémorer mentalement le dossier. Exercice facile, d'autant qu'elle avait déjà croisé à de nombreuses reprises Jane Wallace. De deux ans son aînée, et une riche expérience sur le terrain ; ne histoire pas bien gaie... Jane avait également reçu sa vie actuelle d'un héritage empoisonné, et traînait un patronyme qui n'était inconnu pour personne ici.

"Puis-je...?"

La jeune femme désigna d'un léger signe de tête la banquette face à Jane en se présentant à elle d'un faible - mais présent - sourire, et non pas un, mais deux mug à café. Elle entreprit de justifier ceci.

"Il y a eu une agression à trois rues d'ici il y a quelques jours, par dit-on "un homme bossu et furieusement défiguré", et vous n'êtes pas n'importe qui. Je serai rassurée de vous savoir... (un coup d'oeil à la bière) prête... Juste au cas où."

Elle déposa un mug ni trop prêt, ni trop loin de Jane pour lui laisser le choix et s'installa en face de celle-ci. Cela tombait bien pour le soldat qui semblait un rien s'ennuyer. Erin était douée pour trouver quelque chose à faire à ses acolytes. C'était aussi son job, après tout.

[Mon Safari a déconné, j'ai dû recommencer mon post >.>]

Loin de s'ennuyer, Jansen fixait son carnet, l'air pensive, n'ayant pas fait attention à ce qui l'entourait. Il lui fallut du temps pour remarquer la femme qui venait de l'interpeler. Sa "collègue", sa "compatriote", "comparse", "compère" ? Peu importait le qualificatif que l'on lui donnait. Jansen releva la tête, les yeux ronds et la bouche entrouverte pour observer la nouvelle venue. Son allure était à l'opposé de Jansen. Elle était grande, fière, droite, ce genre de beauté froide que les hommes adorent, en général. Jansen, elle, était plutôt rigide mais dans le sens, tronc d'arbre, sans grande souplesse. Pourtant fine, ses épaules restaient assez larges et son allure était plutôt "masculine" à côté d'Erin. Pourtant, dès qu'elle enfilait un tailleur pour les meetings, les gens la regardaient, différemment. En vérité, ils se souvenaient enfin qu'elle était une femme.

Finalement, Jansen leva légèrement la main pour "l'inviter" à s'asseoir et haussa les épaules à sa remarque. Avait-elle bien entendu ? Jansen fronça les sourcils et regarda le bug puis la bière. Se passant une main dans les cheveux, elle se mit à rire et croisa les bras sur la table. Elle s'humecta les lèvres et pencha la tête vers Erin.

_ Seriez-vous en train de m'interdir de boire sur mes heures hors-service ?

Jansen haussa les sourcils. Elle ne faisait pas dans le babysitting, elle ne faisait pas non plus spécialement dans le service. Elle faisait dans la justice, la vraie. Et encore moins les potins de la ville. Reprenant sa chope, elle la porta à ses lèvres.

_ Vous savez, je m'occupe de réels problèmes, pas uniquement des humanoïdes défigurés. Je m'occupe des vrais attentats. Je laisse le reste à la police, vous savez, je suis de l'armée, moi... C'est différent ! Les agressions, ce n'est pas trop mon rayon. C'est le vôtre ?

Erin sourit à sa consœur, installant son sac à côté d'elle. Le mug lui paraissait encore bien trop fumant pour qu'elle se risque à le porter à ses lèvres, la jeune femme le laissa donc refroidir sur le côté de la table. Elle n'aimait pas spécialement ce genre d'endroits. Même quand vous essayez de vous isoler, probablement comme Jansen avait essayé de le faire puisqu'elle avait été dure à repérer malgré tout, vous ne pouvez pas. Le calme ? Entre la télévision qui crachotait un son des plus médiocre et le brouhaha des clients qui faisaient leur tambouille dans leur coin, plus ou moins bruyamment... Et ce n'était que les points principaux capables de vous rebuter. Mais certaines images et récents événements pouvaient vous faire aisément baisser votre exigence quant à l'hygiène d'un lieu et autre. L'excellence d'un café était à revoir également.

"Loin de moi l'idée, non..."

Elle hocha la tête en lui adressant un discret sourire.

"La police, j'espère que vous n'êtes pas sérieuse."

En se penchant un peu plus sur la table et baissant le volume, des fois que.

"Vous savez aussi bien que moi ce qu'ils valent. Ils ne sont pas prêts, même pour de simples humanoïdes défigurés. Quant aux réels problèmes, ils commencent en bas de chez chacun de nous."

Erin ouvrit la main en penchant la tête sur le côté.

"Ne vous méprenez pas, ce n'est en rien un reproche. C'est tout à fait noble de vouloir viser haut. Mais commencer déjà par sauver Londres, c'est un début. Le reste du monde viendra ensuite. Et puis... vous comme moi, si ce n'était pas notre but, nous ne serions pas ce que nous sommes, non ?"

Elle se redressa pour adopter sa position initiale, les commissures de ses lèvres se plissèrent légèrement en harmonie avec ses yeux.

"M'autorisez-vous alors, Mademoiselle Wallace, à vous demander par où est-ce que vous avez l'intention de commencer ?"

Jansen la fixa sans rien dire. De cette manière, elle pouvait presque passer pour une inexpressive. Le "Mademoiselle Wallace" lui fit hausser un sourcil. Pourquoi pas, après tout, cependant, elle n'était pas prétentieuse à ce point. Pour Jansen, le reste du monde ne pouvait pas attendre. Le bas de sa rue, c'était le reste du monde, il ne pouvait y avoir de distinction ou de favoritisme. De la même façon qu'elle, Jansen croisa les bras sur la table pour se rapprocher d'elle et parler moins fort. Ces bureaucrates se penseraient toujours supérieurs, ou d'une autre manière, ils penseraient toujours avoir besoin d'un recrutement pour les opérations les "moins importantes".

_ Mademoiselle Christensen, je suis ici pour faire mon boulot et ce, depuis plusieurs années. Que la police ne réagisse pas, c'est une chose, bien sûr que non, elle n'est pas qualifiée. Mais pour moi, il n'y a pas que Londres qui compte. Je ne veux pas passer pour une cruelle ou une non compatriote. J'exprime juste une vérité. Ce qu'il y a à Londres... Ce n'est rien comparé à ce que l'on peut trouver dans les contrées moins fréquentées. Alors la police aura tôt fait d'apprendre comment gérer ses rues et les Templiers sont aussi là pour ça pour gérer les crises de rue. Pour ma part... Je vais gérer plutôt... ceci.

Elle fit glisser le carnet jusqu'à Erin. Sur le papier, elle avait noté la phrase entendue durant l'interférence statique. Relevant les yeux sur Erin, elle l'interrogea du regard avant de reprendre.

_ Le signal reste perturbé, impossible de le tracer. Avant, ce n'était qu'une interférence, aujourd'hui, quelqu'un cherche à communiquer quelque chose. Qu'est-ce que c'est ? Quelque chose pour sauver la planète ? Un superhéros, c'est quoi ?

Haussant les épaules, elle finit sa bière et sortir un paquet de chewing-gums de sa poche, qu'elle tendit à Erin au cas où elle en voudrait un. Ces petites choses devenaient rares et Jansen était du genre pointilleuse sur la santé. Des dents blanches pour une forme plus forte !

(Hey darling ! Aucun problème pour Border House )

Erin relâcha son dos. Elles pouvaient aisément utiliser un débit de conversation. Les deux tables derrière elles étaient vides, et avec le brouhaha de la télévision et des conversations, même une oreille attentive et concentrée ne parviendrait pas à capter leurs dires. D'un signe de compréhension, elle ouvrit les deux mains sur la table.

"Je suis tout à fait d'accord avec vous. Simplement, Nous ne sommes pas une réunion de trois athlètes dans un gymnase. Si Londres s'effondre, alors Nous aussi. A l'heure actuelle, il y a des régions gravement plus affectées, seulement nous sommes le premier rempart, d'où l'importance de veiller à une ville propre. Quant aux autres continents... quoi qu'On en pense, Nous ne sommes pas seuls."

Le carnet que lui tendit Jansen l'intrigua. Lorsqu'elle l'avait aperçue, elle l'avait trouvé très concentrée, à griffonner ce même carnet. Et ce n'était certainement pas son journal intime...
Erin lu rapidement la phrase, sans vraiment tilter sur un sens précis, et releva les yeux sur la jeune femme, avant de secouer la tête comme en guise de protestation.

"Je ne crois pas aux super-héros. Je crois aux personnes comme vous."

Elle baissa le regard pour mettre fin au contact visuel, de quoi s'accorder quelques secondes de réflexion sur la signification de la phrase. L'explication la plus plausible aurait été une simple hallucination auditive. Avec ce qui les attendaient dehors, il aurait été tout à fait compréhensible de commencer à s'imaginer des choses ici et là. Mais son petit doigt lui disait que ce n'était pas franchement la réponse que Jansen attendait.
En relevant les yeux, elle refusa poliment le chewing-gum tendu par la jeune femme.

"Cela peut-être... tout et n'importe quoi. Vous en avez vu de vos propres yeux : Est-ce qu'elles vous donnaient vraiment l'impression de chercher à communiquer ? Et s'il s'agit de quelqu'un, ou quelque chose d'autre... Je ne sais pas ce que ça pourrait-être. Ce que je peux vous dire en revanche, c'est que Nous sommes prêts à y faire face. Les héros, ce sont vous et vos acolytes. Mieux vaut ne rien espérer d'autre, personne ne viendra nous sauver."

Erin s'humecta les lèvres, et reprit sur un ton plus doux :

"Vous dites vouloir commencer par gérer ceci. Que comptez-vous faire exactement ? L'indice semble fragile pour avoir quelque chose de concret. "

[C'est moi ou tu lui as fait du gringue ? .Oo]

La faction des Templiers était si étrange, parfois. Si soudée et pourtant si différente par ses protagonistes. Malgré tous les désaccords qu'il pouvait y avoir, vous pouviez être certain que rien ne filtrerait. On pouvait s'aimer et se détester au sein des Templiers, mais au mieux on restait soudés sans ne jamais rien montrer. Aussi, la remarque d'Erin fit tiquer Jansen. Elle fronça les sourcils en penchant la tête, aussi curieuse qu'intriguée face à la réaction de son interlocutrice. Jansen n'était pas devin, elle n'était pas médium, elle était loin d'être psychiatre ou psychologue ou tous ces trucs en "psy", aussi, la réaction d'Erin resta pour elle une incompréhension. Jansen aimait ce qui était réel, compréhensible, palpable, vrai.

Finalement, elle laissa cela de côté, secoua la tête et écouta sa comparse, plus étrange encore. Doucement, elle croisa les bras sur la table pour l'observer, plus attentive qu'avant. Qu'essayait-elle de dire ?

_ Je rêve ou c'est un compliment de lèche-botte ?

Prenant le café précédemment adressé, Jansen le touilla avant de poser la cuiller sur le côté, sans aucun geste très élégant.

_ Vous savez que nous sommes du même côté ? Je veux dire, "Nous", c'est vous et moi, ce ne sont pas uniquement les forces spéciales. Vous en êtes consciente de cela, pas vrai ?

Jansen porta le mug à ses lèvres et haussa les sourcils en observant Erin par dessus avant de reprendre.

_ Ce qui est fragile est à prendre avec précaution. Je vais commencer par trouver le meilleur geek de cette ville afin de déterminer d'où vient ce signal. J'ai relevé l'heure et ce n'est pas la première fois. J'ai entendu dire qu'il n'y avait pas qu'à Londres que ce genre d'interférence inquiétait.

Jansen haussa finalement les épaules.

_ Vous avez une meilleure idée ?

(Ca va pas non oO' Je me suis relue mais, j'ai vraiment pas vu ce qui pouvait te faire penser ça.)

A sa première remarque, Erin éclata d'un rire léger en haussant une épaule, avant de répliquer presque immédiatement.

"Ne vous méprenez pas. Ce n'est ni pour attirer votre sympathique, ni pour flatter votre égo. Quand je dis que je crois aux personnes comme vous, ça veut dire aux personnes comme vous, pas spécialement votre petite personne."

Elle n'était pas quelqu'un de méchant, peu importe ce que ses airs disaient aux autres. Mais elle n'appréciait pas qu'on en joue. Ce qu'elle avait dit n'était pas à ces yeux un compliment, mais elle était sincère en disant qu'elle ne cherchait pas à attirer sa sympathie : Elle appréciait Jansen en tant que membre, en tant que personne qui faisait son boulot convenablement, tout simplement.

"Lorsque je dis Nous, je parle de l'ensemble, encore une fois pas de nos petites personnes. Nous sommes un tout, quant à nous deux, de minuscules pièces d'un grand puzzle."

Si les Templiers étaient si puissants, c'était de par la qualité des membres, c'était vrai, mais aussi de leur quantité. Un être humain seul, même avec la meilleure volonté du monde, ne vaut pas grand chose face à ce genre de menaces. Au mieux, il survit. Leur ordre lui ne s'en contente pas, il agit également.
Erin plissa le regard en secouant la tête.

"Une meilleure idée, non. Pour être tout à fait franche, et puisque mon job consiste à cela également, si je m'arrêtais à ce genre de choses, je n'aurai pas assez de vingt quatre heures de travail par jour pour m'en occuper. Et vous non plus, mais c'est vous que ça regarde et on mettra ça sur le compte de vos activités extra-professionnelles donc vous en faites bien ce que vous voulez, après..."

Elle adopta un ton plus doux, pour lui faire comprendre qu'elle n'était pas hermétique à son avis sur l'interférence, et qu'elle ne la prenait pas non plus pour une folle.

"Vous trouverez sans doute des individus de pointe au Siège, et vous gagnerez un précieux temps mais, peut-être allez vous beaucoup vous investir pour pas grand chose au final."

_ Je parlais bien au nom de nous tous... Je ne suis pas égocentrique, aux dernières nouvelles. Je dis simplement qu'il est rare de recevoir ce genre de... Compliment. En général, on nous considère un peu plus comme des grosses brutes que comme des idéaux militaires, si vous voyez ce que je veux dire. On protège, on défend, on attaque. On parlera plutôt de nous lorsque l'un des nôtres est mort. Le problème c'est qu'on ne se souvient de nous que lorsque l'on accomplit un acte héroïque. Pour certains, ça les suit sur plusieurs générations.

Jansen haussa un sourcil et reporta son mug à ses lèvres avant de le reposer, s'humectant les lèvres.

_ Cela dit, je suis d'accord. 24h, ce n'est pas assez. Cependant, à la vue des derniers événements, qui peut dire quand le jour commence et quand il se termine réellement ? Pour beaucoup, le sommeil ne signifie plus grand chose. Le cauchemar est éveillé et le rêve endormi, le monde est à l'envers. De nombreuses personnes ont perdu leur sens de l'orientation. Depuis quand n'avons-nous pas vu un grand et beau soleil par ici ? Pas que Londres fut bien prospère, ma foi en matière de météo mais aujourd'hui, se faire lécher le derrière par des rayons solaires relève du fantasme plus que de la prévision de vacances.

Pas la langue dans sa poche, un peu de cynisme et un léger sourire en coin disparu en une fraction de seconde, voilà qui décrivait bien l'état d'esprit de Jansen à ce moment-là. Reposant le bug, les yeux bas, elle reprit.

_ Qui ne tente rien n'a rien. Mon instinct me dit qu'il y a quelque chose à fouiller là-dedans.

Elle releva les yeux vers l'écran à présent de mauvaise qualité mais sans interférence. Ce n'était pas la première fois qu'elle entendait cette voix et selon elle, il s'agissait là d'un appel, quelqu'un cherchait à communiquer. Restait à savoir quoi, quand, comment et pourquoi. Se perdant légèrement dans ses pensées, elle reporta son regard sur Erin, l'étudiant quelques secondes avant de reprendre.

_ Votre instinct ne vous parle jamais ? Et quand c'est le cas, vous êtes plutôt du genre à l'écouter ou à vous dire que vous divaguez ?

(Fuuu, ça m'manque l'époque où on comptait pas les lignes et on enchaînait les 30pages/jour - Je réponds à N'Ellie dans l'apm/soirée au mieux.)

A sa remarque, Erin secoua la tête, en l'approuvant tout en désapprouvant le cliché.

"Il paraît qu'un militaire n'a pas le droit de réfléchir par lui-même. C'est bien pour ça que je ne vous vois pas, tous, comme des militaires mais plutôt... des agents. Ça échappe plus à la cruelle règle du stéréotype, dira-t-on."

Elle joua négligemment avec la touillette dans sa tasse vide, faisant à peine sonner le verre, comme perdue dans ses pensées. Pourtant, elle écoutait bel et bien Jansen et était toujours parmi eux. Elle n'avait pas tord du tout au sujet de Londres, mais fallait-il réellement s'adapter ? Non. Si on adoptait un autre comportement, alors c'est qu'ils gagneraient. Ce n'était pas à nous de changer, si ce n'était dans l'accueil réservé à ces nouveaux arrivants fraîchement descendus du bus.

Erin finit par lâcher sa touillette et se redresser pour faire à nouveau face à son interlocutrice.

"Eh bien... Pour être franche avec vous, je choisirai plutôt la deuxième option : me dire que je divague. Je veux dire, dans les circonstances actuelles. C'est comme si une petite fille avait regardé sous son lit et que les pires monstres et créatures de tous films d'horreur confondus étaient sortis comme un seul homme. Je ne dis pas ça par rapport à cet enregistrement ou à vous, mais par rapport à moi ou n'importe qui d'autre : Je comprendrai qu'on puisse perdre la boule, imaginer des choses, sentir des présences, devenir quelqu'un que l'on est pas à l'état 'normal' : paranoïaque, angoissé... S'il nous tue pas de manière naturelle, ils nous tueront psychologiquement. Il faut tenir bon, éradiquer ça au plus vite. Vous ne vous êtes jamais dit que peut-être, c'était notre foi qui était mise à l'épreuve ? Ou nos capacités ? Comme une sorte de plateau de jeu géant."

Elle pouffa d'un rire en secouant la tête.

"Désolée, parfois j'imagine que c'est ça et ça me paraît moins étrange..."

Si un militaire n'avait pas le droit de réfléchir par lui-même alors Jansen était une hors la loi. A ces mots, elle garda son regard porté sur Erin mais demeura dans le vague. Par ses pairs, elle était réputée pour penser un petit peu trop et jamais au bon moment. Plus exactement, elle était réputée pour ce qu'elle ressentait et bizarrement, on la jugeait trop dure. Vous savez, ce genre de fille froide comme la glace, capable de vous tuer d'un jet de couteau les yeux bandés. Alors les mots d'Erin furent pour elle quelque peu incompréhensibles. Etait-ce une remarque désobligeante ou bien une curiosité ? Depuis qu'elle était arrivée, Erin semblait faire montre d'un intérêt pour Jansen - ou du moins, son corps militaire - et cette dernière en restait encore prudente. Jansen ne se voyait pas comme un agent. Ni comme une militaire. Elle se voyait comme un instrument que la Terre avait à sa disposition.

Elle joua avec le bug entre ses doigts, écoutant l'opinion d'Erin concernant cette énigme. Elle était habituée à se sentir "seule" face ses lubies. Mais elle n'aurait pas imaginé ce revirement d'une personne extérieure au corps militaire. Quelle foi ? Celle en l'humanité ? A la voir actuellement, il n'y a pas de quoi avoir la foi. Et voilà que Jansen repartait à trop penser, faisant lentement tourner le bug entre ses doigts, fixant le liquide noirâtre et encore fumant en son fond.

_ Il n'y a pas de foi à avoir. La Terre est devenue un immense terrain de jeu et nous sommes moins de 7 milliards à jouer les uns contre les autres. Et sur ces 7 milliards, un septième de cette population est réellement innocente. Dans ce taux, j'estime que seuls 35% d'entre eux n'ont jamais commis aucun crime et sont passibles d'être nommés comme saints. Quant aux autres, des voyous, des repris à travers le globe.... Pourtant, que ce septième soit une partie innocente et inconsciente de la population, ils n'en restent pas moins que des pions sur l'échiquier. Chaque faction qui s'oppose protège son roi et sa reine, envoie ses fous brouiller les pistes et ses cavaliers à l'abattoir. Ils ont leur chances, malgré tout face à l'ennemi. Mais des pions... A la fin, il n'en restera aucun. Et lorsque la Terre sera démunie de son innocence et la faible parcelle d'insouciance qui résiste encore, que restera-t-il ?

Jansen releva finalement les yeux sur Erin.

_ "Seul l'Ancien Élu pourra rétablir l'Équilibre entre nos mondes." Cet Elu ne peut être qu'un innocent. Et mon devoir est de protéger ces innocents.

(Toi aussi joue avec le bug )

Curieusement, Erin trouva la métaphore de l’échiquier excellente et très représentative. Il aurait été intéressant de savoir combien de pièces restait à chacun, mais ce n'était que de la pure curiosité. Sans le vouloir, elle regarda la main de Jansen qui manipulait le mug, comme absorbée par ce tic dérangeant.

"Donc... Il y a bien une histoire de Foi là-dessous."

Elle se frotta rapidement l'arcade en esquissant un sourire avant de relever le nez pour se détacher de la tasse de son interlocuteur.

"J'ai été élevée dans le respect des traditions et la religion, et pourtant, c'est le genre de phrases qui m'amuse plus que vous. L'ancien Elu. L'équilibre des mondes. C'est bien le genre de discours que pourraient se tatouer sur le corps ces coréens."

Elle secoua la tête, en levant une main.

"Je suis désolée. Je ne me moque pas ou quoi, c'est la situation en elle même qui... Vous avez donc Foi en cet innocent, on en revient à cette affaire de superhéros. Le monde est quelque chose de très compliqué, de grands scientifiques ont eux même séchés sur le sujet. Les puristes, comme mes grands parents, vous parleraient volontiers d'Eden et compagnie mais on sait tous comment on en est arrivés là. Ce qui arrive... Tokyo, tout ça, c'est concret. On comprend à peu près ce qu'il se passe. Mais les Elus, les lumières dans les ténèbres, c'est ce qu'on raconte aux petits pour leur donner espoir. Il n'y aura pas de Surhomme emballé dans une peau de bête et avec un joli bâton qui va venir protéger la Terre. Soit on trouve un moyen de combattre ces anomalies génétiques, soit on y passe."

Elle secoua la tête.

"Jane... La plupart des choses que je sais à votre sujet, je l'ai lu sur dossier, c'est vrai mais... Je sais que vous êtes une personne brillante. Plus qu'un soldat qui n'a pas le droit de penser par lui-même, comme on en parlait tout à l'heure. Ne croyez pas à ces bêtises. Vous savez utiliser un fusil à pompe, et c'est ça qui vous sauvera. Ca, Nous, mais pas d'élu, rien de ce genre."

[Qué bug ?]

Que quelqu'un d'autre que son père prononce son surnom ainsi la rendait mal à l'aise. Pourtant, Jansen se contenta de serrer les dents pour ne rien laisser paraître et elle baissa les yeux.

_ Si nous n'avons pas la foi, alors personne ne l'a, c'est évident. Quant à mon dossier...

Jansen inspira profondément, pas bien familière avec le fait qu'on puisse faire des recherches sur elle. Wallace était pourtant un nom répandu dans les alentours. Mais chez les Templiers, beaucoup d'historiens avaient demandé si elle faisait partie de l'héritage Wallace. Après tout, elle aurait pu ne pas en être, pas vrai ? C'est si facile de porter un nom de nos jours. Et pourquoi Wallace devrait bénéficier d'un traitement de faveur plutôt qu'un autre ? Jansen s'accouda à la table et croisa les bras avant de pencher la tête pour étudier son interlocutrice du regard.

_ Vous savez... Je sais que là n'est pas votre intention mais si vous deviez vous faire une opinion de moi, j'aimerais autant que ce ne soit pas uniquement en regardant mon "dossier". Visiblement, ça ne vous apprendra pas à bien me connaître. Ce que vous dites, ce n'est pas moi. Je ne laisserai pas tomber, je ne laisserai pas passer non plus. J'utiliserai mon fusil à pompe si je le dois et non parce que je le dois. Je vais aussi utiliser ma tête. Vous parlez de foi, vous parlez d'avoir foi en notre ordre en général et pourtant vous semblez me mettre à part... Pourquoi ? Pourquoi venir ici, à cette table, en cet instant, pour me dire tout ça ? Vous aviez forcément une idée derrière la tête, non ? Laquelle ?

Pour Jansen, rien n'arrivait par hasard, les coïncidences n'existaient pas. Cette interférence statique qui parasitait les écrans depuis quelques jours n'était pas anodin. Si c'était l'oeuvre d'un pirate, il se serait déjà bien fait connaître, depuis le temps. Non, selon elle, il s'agissait de quelque chose d'important à ne pas ignorer.

_ Selon vous, pourquoi n'est-ce pas important ? Que vous dit votre instinct ?

C'était à ça qu'elle fonctionnait : à l'instinct. Et il lui disait d'écouter l'interférence...

_ Vous n'êtes pas même un peu curieuse ? Ces parasites, cette interférence depuis plusieurs jours, à travers le monde entier... Aucune question ne vous vient à l'esprit ?