Newport, Mars 2012
Quartier de Venice

Cela faisait plusieurs jours que cela s'était produit. Pourtant, c'était étrange mais tout était redevenu normal. Enfin, normal... Autant que ça pouvait bien l'être, vous voyez ? Les quartiers étaient toujours mal famés, ça sentait toujours le vomis de chat nécrosé à tous les coins de rue mais... C'était Newport. Ca avait toujours été comme ça. Mais depuis quelques temps, c'était pire. Et depuis quelques temps, je n'avais qu'une envie : fuir. La ville me foutait la trouille. Je ne sortais jamais la nuit et pourtant il pleuvait déjà toute la journée, c'était à se demander si nous n'allions pas bientôt devenir la vraie Venise. Pour ce qu'il restait de l'originale...

J'attendais mon métro quand cela s'est reproduit. Vous êtes là, vous attendez sagement votre transport en commun que vous avez honnêtement payé au fruit de vos efforts, quand l'écran d'informations se met à grésiller. Jusque là, on vous serine d'actualités qui commencent à dater pour certaines - on ne sait plus quoi inventer - et d'autres que l'on vous répète inlassablement chaque jour : "La Terre est en train de sombrer !". C'est leur titre favoris, je vous assure. Et puis d'un coup, ça grésille, on dirait des interférences et d'une voix d'outre tombe, vous entendez :

_ "Sauve-la... Trouve-la..."

Et vous avez beau regarder autour de vous avec le visage pâle et l'air terrifié, vous semblez être la seule personne à le remarquer. Avouez que ça peut paraître encore plus flippant. Alors comme tout le monde... Vous baissez la tête et vous rentrez dans le métro, profil bas, en vous disant que tout ceci n'est qu'une farce de la chaîne. Sûrement la promotion d'un film ou d'une série d'horreur. C'était la mode. Surtout avec ce qu'il traînait dans la rue, paraît-il, facile avec son portable de faire les vidéos de créatures de la nuit. Personnellement ? Ca me flanquait sévèrement la frousse.

Non loin de là, il y avait Chase Trent, un membre du Dragon recruté peu de temps plus tôt. On l'avait envoyé ici pour suivre une piste qui partait du Japon jusqu'au Maroc pour terminer ici, à Newport, dans cette ville peu connue du monde entier. Et pourtant, elle n'était en rien rassurante, encore moins que les autres villes que Chase avait pu traverser. Mais c'était un retour aux Etats-Unis. On l'avait envoyé ici pour trouver la source de l'interférence statique qui prenait sa racine, visiblement par ici. Restait à découvrir qui fallait-il trouver et sauver et Chase aurait sûrement de quoi prouver sa valeur au Dragon !

Jusque là, j'avais cru que les gens se bousculant n'était qu'une chose normale, banale, commune ! Surtout à Newport, c'était chose courante. Le quartier n'était pas le plus fréquenté mais avec toutes les personnes travaillant dans le coin et cherchant à rentrer chez eux, c'était l'heure de pointe. Autant vous dire qu'on allait plus vite à pieds. Mais il pleuvait à torrents, dehors et je tenais à mon brushing. Vous aussi, ça vous fait doucement rigoler, hein ?

Pourtant, lorsque je tendis la main pour attraper la rampe des escaliers afin de remonter à la surface, quelque chose souleva mes pieds et je manquai de tomber en arrière. Me rattrapant au poteau derrière moi, je regardai la foule. Soudain, elle se mit à crier et je bénis ce poteau de se trouver à cet endroit car la cohue qui déferla jusqu'aux escaliers criait comme si le diable les poursuivait. Je relevai la tête vers les hauts-parleurs de la station. J'entendais bien que quelqu'un parlait mais je n'arrivais pas à en comprendre les mots. Quelque chose ne tournait pas rond, ça c'était sûr. Et je compris bien assez vite.

Sous mes pieds, quelque chose se passait, quelque chose tremblait et je déglutis. Des tremblements de terre, par ici, ce n'était pas très fréquent. Mais avec l'accident de Tokyo, dans le métro, les gens n'étaient plus rassurés. Un petit tremblement de terre et c'était parti, tout le monde criait. Je dois avouer que j'en avais bien envie aussi, de crier. Vous vous imaginez, enfermé dans ce trou à rats, vous ? Une fois la horde disparue, il ne restait pas beaucoup de monde sur le quai de la station. Il y avait un homme dans un long manteau noir, une femme aux cheveux très courts et un homme à la barbe défraîchie plus près de moi. Nous regardions tous vers le même point, celui d'où venait ce bruit sourd et aigu en même temps, ce bruit... Ce cri d'agonie d'une certaine manière. Mes yeux s'arrondissaient de plus en plus et je m'accrochai à mon poteau de béton. En haut, nous entendions crier de moins en moins puis un grand CLAC, comme une porte que l'on verrouille.

Et enfin, alors que le métro automatique avait filé vers sa nouvelle station, j'entendis l'automate s'adresser à nous.

_ Mesdames et Messieurs, en raison des conditions climatiques, le trafic doit être interrompu. Nous vous demandons de vous diriger vers les sorties les plus proches et de continuer à pieds. Bonne journée !

Un nouveau silence et il apparut, face à nous. En me décalant un peu plus, je vis deux autres personnes sur le quai. Il ne restait plus que nous et bizarrement, je crois que j'étais la seule à vouloir m'en aller. Quoiqu'il nous arrive en face... Je n'avais pas envie de faire connaissance. Chaque pas faisait trembler le sol sous nos pieds jusqu'à fissurer le carrelage. Je crois que je manquai réellement de paniquer lorsque je vis, dans les mains de mes voisins, une épée, et un fusil et une autre épée... A nouveau... je déglutis.

Je venais tout juste d'allumer une cigarette quand il y eu une secousse.

_ Et chier...

La terre grondait, j'avais le sentiment que quelque chose n'allait pas, celui que j'ai habituellement quand le surnaturel pointe le bout de son nez. Je n'étais pas le seul, il n'avait pas fallut longtemps, un simple regard entre moi et trois autres personnes avait permis à se comprendre. Peut importe à quelle cabale on pouvait appartenir, le problème était bien plus gros que notre querelle sans fin. Et puis qui sait, si on survivait glorieusement, cela nous laisserait sans doute le temps de nous crêper le chignon .

Mes compagnons de fortune étaient armés jusqu'aux dents : fusil, hache, épée. Je faisais pâle figure à leur côté, moi qui n'était doté que de ma veste et mon sac de voyage. Ma voisine me proposa l'une de ses deux épées, je refusa d'un hochement de tête. Bien sûr, je savais comment me servir de telles armes, mais je ne me suis jamais senti aussi à l'aise avec que lorsque j'utilise les flammes.

Cela peut vous paraître étrange mais je ne ressentais pas la peur que n'importe quel individu pouvait avoir, comme cette fille là-bas accrochée au poteau. Je pouvais la comprendre, mais je ne pouvais pas me résoudre à réagir de la même façon. Je savais qu'il y avait une créature à combattre dans les tréfonds de la terre, j'étais dans un état d'alerte extrême. De l'extérieur je devais paraître bien blasé pour ne pas paniquer d'un pouce, j'étais décidé à rayé de la carte n'importe quelle pourriture qui allait sortir de là.

Je fis un sourire en coin, tout en me mettant en position, jambes arquées, prêt à la riposte, mes mains déjà en feu. Comme un vieil addict qui retrouve sa drogue, je retrouvais les flammes. Je dois être sacrément givré pour encore apprécier ça, quiconque aurait été brûlé au 3ème degré fuirait en courant en voyant mes mains.

Il y eu une secousse, puis une autre plus intense que la précédente et une troisième qui indiquait que "la bête" était toute proche. Je sentais la pression que ressentait les autres, tout aussi prêts que moi. L'homme un fusil, au crâne dégarni eu même un petit rire nerveux.

_ Je m'y connais en Elementalisme certes, mais comptez pas sur moi pour sauver vos miches quand cette chose arrivera.

De plus, mes capacités en guérison étaient très réduites, c'est à peine si j'arrivais à faire disparaître une égratignure, je ne leur serais d'une grande utilité. Ils me regardèrent en haussant un sourcil, mais en voyant littéralement de quel bois je me chauffais, ils n'osèrent pas répliquer.

L'impatience qui avait été à son comble, explosa de toute les manières possible quand la créature fit son apparition dans un amas de gravas et de fumée. D'ailleurs, elle n'avait pas réellement de corps, du moins de là où j'étais je ne le voyais pas, tout ce que je percevais était des ténèbres vaporeux qui glissaient jusqu'à nous. Il y avait seulement deux lueurs bleuâtres en guise de regard. Elle sortait du tunnel mais garda sa distance, comme pour étudier la situation. Une tentacule sinueuse et aussi noire que le pétrole s'approchait lentement, langoureusement comme un serpent jusqu'à nous.

_ Ok... This gonna be a hell of a ride !

Quelque chose me disait qu'elle ne devait pas tellement apprécier la lumière pour être coincée ici, alors au lieu d'utiliser directement mes plein pouvoirs, je résorbais mes flammes et j'attendis que sa tentacule s'approche assez près de nous.

_ N'attaquez pas tout de suite !

Lorsqu'elle n'était à environ un mettre, "j'allumais" brusquement le feu de mes mains, ce qui laissa assez de manoeuvre à mes compagnons pour user de leur talents. La créature de ténébreuse eu un mouvement de recul, mais cela ne dura qu'un fragment de secondes, toute une flopée de tentacule noires d'encre filaient sur nous. On venait de réveiller la furie en elle.

_ ... Je propose qu'on se carapate à la surface !!!

D'origine, j'aurais pu hurler et faire ce qu'il disait. Pourtant, je n'avais jamais vu une chose pareille. J'aurais dû fuir et pourtant, je n'en avais pas envie. Pour tout vous dire, depuis que j'avais reçu ces pouvoirs, ma vie avait totalement changé, je n'étais plus la même personne. Mon frère, ma famille, plus personne ne me reconnaissait. C'était comme si une autre personne avait décidé de s'emparer de moi. Je n'étais déjà pas quelqu'un de terrifié par la vie, ni par la mort. Je vivais déjà un métier dangereux. Pourtant, depuis quelque temps, j'avais changé. Je mettais mon courage à l'épreuve plus fréquemment que je ne vivais pleinement ma nouvelle vie de femme ressuscitée. Quand je vis une épée passer d'une main à l'homme non loin de moi, je déglutis. Et moi, alors ?

Promenant mon regard et faisant abstraction de ce qui se passait autour de moi, je cherchais quelque chose. Il me fallait une barre, quelque chose, long, métallique, habile à manier. Leurs épées me dérangeaient plus qu'autre chose. J'aurais adoré avoir l'un de leurs fusils, cela étant. Lorsque l'homme à mes côtés suggéra de nous enfuir, je reportai mon regard sur le monstre qui s'approchait. Je ressentis un frisson le long de mon échine. J'avais vu bien des choses sur les routes et j'en avais également entendu parler. Mais voir ce genre de... D'abominations, jamais. J'eus bien envie de fuir, sur le coup mais alors, derrière un banc, je vis une petite barre de métal laissée là par des travaux, très certainement. Hochant la tête, je sortis :

_ Vous, les américains...

Je recevais assez de blagues sur le fait d'être Canadienne pour me laisser aller à en faire quelques unes aussi aux Américains. Courant jusqu'au banc, j'attrapai la barre et mes yeux devinrent rosâtres, mon arme de fortune crépitant de haut en bas jusqu'à paraître bien plus lourde à la vue de mon entourage. En réalité, elle m'était devenue plus légère et sa teinte nacrée avait alors disparue, une fois la charge effectuée. J'avais dû revoir tous mes cours de physiques depuis que j'avais pris conscience de ce dont j'étais capable. J'écartai légèrement les hanches et m'attirai quelques sourires de la part de mes voisins. D'autres auraient sûrement préféré s'enfuir. Personnellement ? Je n'étais pas comme eux. Qui qu'ils soient, armés jusqu'aux dents, je me tins de la même manière qu'eux. Je tournai alors les yeux vers Chase, mi assurée, mi agissant sous la panique et lui avouai :

_ J'ai toujours été allergique aux fruits de mer... Et vous ?

Si j'avais proposé une retraite à la surface, c'était surtout pour nous donner l'avantage de la lueur du jour, pas pour fuir comme des fillettes. Quelle fut ma surprise lorsque la jeune femme précédemment apeurée se révélait être une guerrière. Moi qui pensait être en désavantage tactique, peut être que la chance venait de tourner. A son accent, je devinais qu'elle était Canadienne. J'eu un léger sourire, ces derniers temps je me faisais énormément charrié sur ma nationalité. A présent je le prenais au second degré, voir même troisième.

Quoiqu'il en soit, une nouvelle alliée n'était pas de refus. J'ignorais ce qu'elle pouvait faire avec ces rayons rosâtres mais quelque chose me disait que c'était sûrement plus que d'allumer un feu de bois.

_ J'ai une préférence pour le poulpe grillé !

Ce à quoi j'ajoutai un projectile de feu sur la tentacule perdue parmi les centaines qui s'approchait de nous. La lumière et la chaleur lui provoqua un autre mouvement de recul. Bien que j'eu voulu créer une immense colonne de feu capable de balayer la créature, je n'en étais plus capable. Mes pouvoirs avaient gravement diminués depuis mon accident et je réapprenais peu à peu à les utiliser. A mon grand désespoir... C'était comme repartir à zéro.

L'une des tentacule s'approcha assez près d'un de mes acolytes, celui au fusil et s'arrêta au niveau de son regard. Il parut se figer sur place, un oeil apparu sur le bout de la tentacule et se mit à le charmer comme un serpent sur sa proie. L'homme lâcha son fusil au sol, ce qui permis à la créature de l'enserrer avec deux autres de ses tentacules. Ce fut à ce moment là que les ténèbres se propagèrent, un gaz toxique qui l'empoisonnait, gravant sur son visage une expression de terreur intense avant de se geler à jamais pour devenir une pierre aussi noire que l'onyx.

Man down.

Voilà ce qui nous attendais si on se laissait avoir. L'événement avait eu lieu en seulement quelques secondes, pas assez pour que je puisse intervenir mais assez pour voir le voir. Nous étions plus que deux hommes et deux femmes, drôle d'équité dans un moment pareil...

_ Coupez moi le bout de ces tentacules ! Ne vous laissez pas charmer !

J'espérai que ce monstre ne soit pas comme l'hydre de Lerne où chaque têtes coupées repoussent. Si c'était le cas, ça allait nous prendre un sacré temps pour nous en défaire. Mais je persistais à croire qu'on ne pouvait pas prendre l'avantage dans un lieu si étriqué avec ce truc qui faisait au moins 20 mètres de haut. Il fallait que je persuade les autres de nous diriger à la surface sans leur faire penser que c'était un acte de lâcheté.

Ou plutôt.

Que je fasse venir la surface à nous...

J'avais vu pas mal de choses au cours de ces dernières années. Des choses que je n'aurais même pas imaginées, tout simplement parce que je n'en aurais pas eu l'idée. Mais ça... C'était au-delà de toute imagination. C'était comme... Le Monstre du Loch Ness mais sans le lac. Je me souviens, petite, je croyais qu'il se cachait dans le lac Michigan, dans les eaux Canadiennes. Mon père s'en servait pour me faire peur. Mon frère aussi, d'ailleurs. J'ai toujours été quelque peu incrédule. Mais là... A dire vrai, je commençais à douter de mes propres jambes. Cependant, je n'avais aucune envie que cette chose tente de me charmer ou de me faire les yeux doux. Je déglutis et regardai autour de moi. L'une des femmes avec les épées s'occupait des tentacules. Les coups de fusil à pompe me résonnaient dans les oreilles malgré mon habitude. Et ce mastodonte au milieu qui pensait pouvoir nous diriger ? En fait, ce n'était pas ça qu'il nous fallait. Il nous aurait fallu du temps pour réfléchir. Du temps...

Je levai les yeux au plafond. Avec sa carrure, l'engin arrachait la moitié des câbles et ça ne sembla pas lui faire le plus grand bien mais ça ne sembla pas non plus le déranger outre mesure. D'un coup, je couru à l'autre bout de la station et me mis à crier en agitant les bras. Le temps était là notre meilleur allié et nous devrons le mettre à profit dans les meilleures conditions. Je donnai des coups de bâton aux tentacules tentant de m'atteindre et grimaçai sous l'effort. Elles possédaient une très grande force, et moi au milieu, je faiblissais déjà. Le but était d'attirer la bête le plus possible vers moi, lui faisant tourner le dos. Une fois la distance entre lui et moi bien estimée, je m'élançai. Fort heureusement, je n'étais as réputée que pour ma conduite rapide mais aussi pour ma course rapide. En fait, la vitesse, c'était mon truc. J'évitai de justesse une tentacule qui manqua de s'effondrer sur moi et me réduire en bouillie. Quand elle retomba lourdement au sol, me manquant de peu, le choc me renversa.

Dos au pilier contre lequel je me tenais un peu plus tôt, je me redressai, assise pour voir une tentacule m'arriver droit dessus. Le plafond était trop haut. Même en montant sur un banc, je ne pouvais pas agir. Et mon plan commençait déjà à tomber à l'eau vu le temps précieux que je perdais. La tentacule s'approchait d'autant plus et je n'avais plus qu'une solution. D'un coup, j'écartai les jambes et brandi mon bâton avant de lui faire cogner le sol entre mes genoux, créant comme un gros éclat dans le béton.

La créature sembla curieuse, c'est que l'onde de choc devait résonner dans ses tentacules ! De plus, le scintillement nacré produit l'énergie du choc sur mon bâton semblait la faire hésiter. Mais c'était le temps dont j'avais besoin, juste quelques secondes. Je sentais le pilier dans mon dos frémir et commencer à trembler. Très vite, il s'effondrerait sur ma tête si je ne bougeais pas. Je me redressai vivement, en appui sur mon bâton et me retournai pour voir le pilier vibrer puis se fracturer. Je reculai encore, vers les escaliers et bientôt, des morceaux de plafond commencèrent à pleuvoir. Quelques uns tombèrent sur la tête de la créature puis sur ses tentacules mais sans l'arrêter pour autant. Puis je poussai un cri en me reculant subitement, un gros morceau de plafond s'effondrant avec le pilier sous son poids.

Et alors, le jour perça sous l'effondrement. Mais si on se bougeait pas, bientôt, ce serait nous coincés sous les décombres pendant que la créature prenait un bain de soleil ! Win-Win comme on dit. Dans notre cas, ce serait surtout Lose-Lose...